La Croix MERCREDI 22 OCTOBRE 2008

La chronique douce d'un été pas comme les autres

Andrzej Jakimowski filme avec poésie les vagabondages d'un enfant bien décidé à détourner le cours du destin

UN CONTE D’ETE POLONAIS **
d'Andrzej Jakimowski
Film polonais, 1 h32

«Je suis ta mère et ton père», explique Elka, 17 ans, à son jeune frère Stefek, 10 ans. Leur mère les élève, mais elle semble éteinte depuis le départ de son mari, «enlevé par une femme». Elka travaille dans un restaurant tout en rêvant d'un emploi qui lui permette de mettre à profit son goût pour la langue italienne. Dès qu'elle a un moment de liberté, elle rejoint Jerzy, son amoureux. Livré à lui-même, Stefek vagabonde et échafaude un monde imaginaire où les oiseaux obéissent au claquement de ses doigts et où ses soldats de plomb s'avèrent aussi efficaces et convaincants que s'ils étaient de chair et d'os. Sur les quais de la gare, l'enfant guette chaque matin un homme en costume dont il a décidé qu'il était son père.
    Film à part, Un conte d'été polonais est une chronique tendre et douce d'un été pas comme les autres.

Peu à peu, par touches subtiles, tout bascule.

Le temps s'y étire doucement et les scènes identiques reviennent, allégories d'une saison où tout pourrait se répéter à l'infini : Stefek s'installe sur un banc de la gare et observe les passagers ; il place ses soldats de plomb sur les traverses pour vérifier qu'ils tiendront debout malgré les secousses provoquées par le train ; il accompagne Elka à ses entretiens d'embauche et, quoi qu'il arrive, reste dehors les doigts croisés pour lui porter chance; il essaie de se faire une place entre sa sœur et son fiancé - et y parvient souvent; il ouvre la cage de pigeons voyageurs peu empressés de s'envoler.
    Malgré la belle lumière d'été qui nimbe tout, l'ennui qui colle à l'enfant guette aussi le spectateur. Mais peu à peu, par touches subtiles, tout bascule. Petit garçon obstiné et silencieux, Stefek est convaincu de pouvoir agir sur le destin, effacer la poisse qui s'attache à certains, attirer la chance sur ceux qui la méritent. À coup de piécettes lancées sur la voie de chemin de fer, de claquements de doigts et de soldats de plomb disposés au bon endroit, il va s'appliquer à créer de mini-perturbations, de celles qui peuvent faire vaciller une existence ou lui redonner sa cohérence. Le film s'envole et entraîne le spectateur dans un voyage immobile, plein de grâce et de poésie.

CORINNE RENOU NATIVEL