Mercredi 29 octobre 2008

Petits miracles à la polonaise

DIDIER STIERS


Pour retrouver son père, il ne lui suffira pas d’aller voir passer les trains à la gare avec sa grande sœur. Stefek (Damian Ul) devra aussi donner un petit coup de pouce à la chance. © D. R.
L'AURA d'un Jakimowski n'est pas encore celle d'un Wajda ou d'un Zulawski. Mais son « Tricks » est prometteur.

ENTRETIEN

Leurs plombiers ont failli éclipser leurs réalisateurs, dites donc ! En voilà heureusement un qui sait prendre les choses avec philosophie ; normal, Andrzej Jakimowski en est diplômé, de philo. Il a pourtant fini par passer derrière la caméra après avoir étudié la réalisation en radio et télé. Quelques courts, docus et un premier film primé en Pologne plus tard, le voilà qui émeut et fait sourire.

Avec Tricks, une histoire de gamin décidé à remettre la main sur ce père qui l'a planté là, avec sa grande sœur Elka et sa mère.

Demandez au réalisateur ce qu'il serait bien que le public sache à son propos : « Rien de spécial, répond-il mi-modeste, mi-amusé. Je n'ai que des films à montrer. Je les fais pour mes amis, parfois pour ma famille… Et avec un peu de chance, d'autres gens ont envie de les voir. »

Jusqu'où « Tricks » est-il autobiographique ?

J'avais en tête quelques moments de mon enfance, qui étaient autant de bons souvenirs, et j'ai eu envie de les ressusciter.

Et vous avez dû trouver un petit garçon pour « vous » incarner…

C'est vraiment ce qui a été le plus difficile : trouver un enfant qui puisse correspondre au personnage de Stefek. Nous avons fait passer un casting caméra à près de 400 gamins. Et nous ne trouvions pas. Or, c'était le plus important. J'étais un peu désespéré. Et puis voilà que nous sommes tombés sur ce garçon qui vivait dans la ville où nous allions tourner, dans le sud de la Pologne. En fait, c'est lui qui est venu nous trouver. Il avait aperçu notre équipe en repérage dans les rues. Ça a été un vrai coup de chance !

Vous lui avez expliqué qu'il allait être… vous ?

Je n'ai pas dû tout lui raconter… parce qu'il est très intelligent. Je n'ai même pas beaucoup dû parler avec lui. Il a compris l'idée de base, la relation que le personnage entretient avec l'homme qui est supposé être son père. Il vit le même genre de situation : son père est parti vivre ailleurs, sa mère a aussi une boutique, une boucherie et non une épicerie, mais soit, et il a également une sœur aînée.

À propos de chance, c'est elle qui fait évoluer votre récit ; vous y croyez autant que Stefek ?

Non. Il y a tellement de choses déjà déterminées dans nos vies, et c'est tellement difficile de lutter contre. Mais on peut y arriver. Bien sûr, on n'obtient pas toujours ce qu'on veut. Et parfois, la chance, c'est justement de ne pas l'obtenir. Vous savez, je suis réalisateur, producteur et scénariste. J'ai donc investi beaucoup dans ce film, c'est moi qui prends le risque et l'avis des gens à son sujet compte évidemment pour moi. Mais Tricks n'a pas changé grand-chose dans ma vie. Ce n'était pas le but, non plus.

La musique colle parfaitement aux images…

Je collabore avec un ami compositeur (NDLR : Tomasz Gassowski), qui intervient à tous les niveaux du travail, ou presque. Dès l'écriture du scénario, je discutais avec lui de mes idées. Il était présent sur le plateau pendant le tournage. Il a commencé à enregistrer des mélodies sur son téléphone portable. Après, nous avons aussi eu de longues discussions sur les instruments de musique, sur le mixage…

Cette musique dégage un peu de mélancolie, non ?

C'était le but.

Vous avez réalisé un film mélancolique ?

Non… Mais la mélancolie fait partie de la vie, c'est important. On ne peut pas rire ou être heureux si on n'est pas triste de temps en temps. C'est typiquement polonais ou est-européen, cet avis sur le mélange des sentiments ? Je ne sais pas… Les Polonais sont des gens heureux et romantiques. Le romantisme, c'est polonais, comme Chopin.


Tricks

Une petite ville industrielle, une gare tristounette, un gamin et sa grande sœur. Lui, c'est Stefek, 6 ans. Elka a 18 ans. « Je suis à la fois ton père et ta mère », comme elle le lui répète souvent. Leur mère est à la maison, leur père a disparu un beau jour. Mais Stefek pense l'avoir reconnu, à la gare. Ce type bien habillé, attaché-case à la main… Seulement voilà, il faut en être sûr. Et attirer l'attention du monsieur sans l'effaroucher. Il suffit de savoir donner quelques petits coups de pouce au destin. Ensuite, logiquement, les choses s'enchaînent…

Sur un ton un brin mélancolique, Andrzej Jakimowski raconte de petites tranches de vie. Stefek et l'inconnu, Elka et son amoureux, Stefek essayant sans relâche de faire fuir les pigeons de vieux colombophiles, la voisine allumeuse et le dragueur… Toutes se mélangent dans un récit partiellement autobiographique, baignant donc dans un brin de nostalgie mais aussi, et c'est ça tout le charme de ce Tricks, dans le soleil et une sorte de confiance tranquille en l'avenir. Côté technique, on soulignera également le travail plein de style du directeur de la photographie (Adam Bajerski) et la bande-son aux influences bal-kaniques (Tomasz Gassowski). Suffit de se laisser porter…

online version:
http://www.lesoir.be/culture/cinema/cinema-sortie-ce-mercredi-de-2008-10-29-655516.shtml