Libération MERCREDI 5 NOVEMBRE 2008


"Un conte d'été polonais"

Et si «le 7e art» en était? Si la formule «J'aime la vie, je vais au cinéma», n'insultait pas le bon sens, par exception... Voilà le genre d'émois que laisse la vision automnale d'Un conte d'été polonais.
Auquel il faut bien revenir, tant il détonne sur la vulgarité crasse du temps, la brutalité et la bêtise inouïe du lot filmique commun; tant il rachète gracieusement le cynisme mercantile usuel dont nous nous repaissons.
Rien de cela avec le feu follet du jour, qu'on situera d'abord chaînon manquant entre 1'Italien, film d'orphelinat russe (sic) inaperçu 2007, et la Visite de la fanfare pour l’épure et l’élévation morale.
Le temps est suspendu, sinon la saison, au pays de ce Conte d'été; comme «l’esprit cruel et le rire impur» qui nous fondent faisant trêve. La vie se plaît soudain à peu: un pigeonnier, ébouriffé au signal, une micheline quantique, deux rues dans le no man's land d'une cité sans visage de l’arrière-province gdyniaienne, une virée à moto nez au vent en loulous, une casse, l’épicerie, une mère vague, le bar-dancing du coin, le Déjeuner sur l’herbe avec une gente traînée et une sangsue, transfiguré Songe d'une nuit d'été farniente aidant, manger, boire, pissoter (à côté), flâner...

Le flirt motard, l’elfe-héros et sa soeur de rêve.

De ces riens le film fait un monde et tout y est. Le trou est un Olympe, la galerie d'anonymes une humanité héroïque - si rêveusement sacrée qu'on s'étonnera de pouvoir vivre sans, la fin venue. Sans mélo ni cut-cut ni bla-bla, arpégé de mandorle en passant, cet univers est purement et simplement vu d'enfance. La numérologie et l’animisme règnent; deux soldats de plomb sur le ballast altèrent le continuum espace-temps de ce cosmos évasif, ou l’invocation propitiatoire régit l’ordre obscur mais harmonieux des choses. L'enfant «marchand d'ailes» de l’histoire est un Poil de carotte moins 400 Coups ou Petit Gibus que Kes, placide et sibyllin, divin enfant au fond. N'a-t-il pas, selon qu'il serre ses mains en moignons parfois, le pouvoir de créer? Le pouvoir de se donner un nom, c'est-à-dire un père... Cet ange de la visitation au village, incarné par le noble Damian Ul, a une soeur. D'une beauté un peu maigre (pour notre goût) parfaite pour le rôle: Ewelina Walendziak, jeune perle à reléguer Scarlett Johanson au rayon tromblons. Entre flirt et embauche, elle assortit à souhait le garçonnet, suivant les mêmes martingales cabalistiques. Elle est fée à sa façon; à leur image et lubie à eux deux la vie ravit. Au point qu'on s'y verrait en plein cinéma à la sortie, à n'en pas revenir. Le lecteur esprit fort qui persifle «cui-cui!» en conclusion peut être fier de lui.